artiste/ ORLANE KINDT
FRANCE
Orlane Kindt est une femme intuitive fascinée par les tâches, points d’ancrage de son écriture picturale. A l’origine, une trouée, une empreinte, puis l’œuvre peu à peu se déroule, mystérieuse, ne révélant pas immédiatement son dessein. « C’est la matière qui me dirige », l’artiste livre en ces quelques mots le secret de ses œuvres au rythme architectural.
Tout commence par « l’impact d’une tâche », à laquelle Orlane Kindt va « donner autre chose », lui insuffler un sens, une direction. Passionnée d’architecture, elle aime tout à la fois construire et déconstruire faisant de ses tableaux des témoins du temps et des gens qui passent, tels de vieux murs. « Constructions sans esquisse », ils n’existeraient pas sans matériaux ni outils. Elle ajoute, enlève, gratte, spatule, creuse, élimine, superpose les tableaux en une seule et même œuvre, hantée par l’impression que cette dernière ne sera jamais achevée.
Une mère artiste-peintre aux pastels délicats lui offre une enfance teintée de rencontres en couleurs et matières, de Mahjoub Ben Bella à Jean-Pierre Delannoy. Au seuil de l’adolescence, Orlane sait que sa vie sera consacrée à l’art et n’a d’ailleurs jamais cessé d’exposer depuis ses 19 ans. Une formation en arts graphiques à St Luc Tournai lui permet d’acquérir un coup de crayon affûté. Sa propension à dessiner à main levée et sans faillir parallèles et perpendiculaires lui vaut son premier poste de cartographe voué à l’étude de fonds sous-marins. La représentation de zones poissonneuses, épaves échouées et autres flux migratoires de bancs de sable est à n’en point douter une source inspirante pour son travail à venir.
Prémices de son parcours, des tâches de vache lui valent d’exposer au Musée du Puydt de Bailleul aux côtés d’artistes de tous siècles et de grand renom, son tableau côtoyant celui de Miro sur le catalogue d’exposition ! Ces tâches sont autant de variantes et tonalités infinies, les trouées blanches dialoguant avec les tâches noires, peintes avec et dans le sens du poil. Autres tâches inédites, celles des bâches de camion qu’un père transporteur de métier lui permet de manipuler, des supports tatoués de crasse et de traces, véritables « pigments naturels ayant voyagé ».
Son goût pour le noir et blanc rappelle les arts graphiques et traduit si bien les contrastes ! Evoquant ses maîtres à concevoir un tableau, des elegy de Motherwell à Tàpies sans oublier de toute évidence Soulages, elle choisit pour cette nouvelle exposition intitulée « Instinct de la matière » l’acrylique, allié au medium gloss pour plus de transparence et de lumière, la laque, mais aussi le plâtre, le béton, la colle, les liants… Elle travaille ce geste linéaire qui lui est cher sur des supports tels le PVC ou la toile de lin, âpre et résistante. Au noir succèdent les couleurs aux teintes lumineuses et adoucies rappelant cartes et plans : tâches contourées oscillant d’un vert des « forêts vues du ciel » au rouge orangé de terres argileuses, en passant par le jaune ensoleillé de bancs sablonneux ou le bleu profond des abysses.
Accumulation et coagulation de matière en proie à des ajouts successifs ou à l’écorchure des retraits entraînent des accidents, parfois intéressants. Les perturbations, voire les tremblements qui en résultent vibrent telle une respiration. Lignes et trouées sont autant de silences que bousculent les notes de musique d’une partition, instinctive et rythmée, au service d’œuvres s’imposant comme « une radiographie du temps ».